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L'HOMME ET LE BOIS, À LA VIE, À LA MORT
Le cinquième élément
Le végétal... premier échelon de la grande pyramide de la vie. Élément indissociable de l'harmonie de l'univers, selon les civilisations asiatiques ancestrales, dont le cycle des transformations s'opère à travers cinq élément primordiaux : métal, feu, eau, terre et bois. Ainsi, le bois, tissu végétal et matière vivante, qui contribue à l'équilibre si fragile entre la nature et l'homme, son hôte, est au coeur de la vie humaine depuis son apparition sur terre. Exploité de mille et une façons, il est sa respiration, sa source d'énergie, sa richesse. Mais, il n'est pas immortel. Aujourd'hui, l'homme, fort de ses connaissances, a pris conscience de la notion de gestion de son patrimoine végétal. À la fois indispensable et périssable, le bois est devenu un enjeu planétaire. Il faut préserver, protéger, régénérer. Mais dans l'ombre, il y a toujours les impératifs économiques...
"Le métal est fondu par le feu ; le feu est éteint par l'eau ; l'eau est absorbée par la terre ; la terre est consommée par le bois ; le bois est tranché par le métal". Voilà le cycle de base qui régit notre univers selon la civilisation chinoise millénariste. Le bois y est, au même titre que les autres éléments, un composant indispensable à l'équilibre de l'ensemble.
Dans les mythologies, les contes et légendes de toutes les cultures du monde, la forêt est omniprésente. Que ce soit Diane la déesse de la chasse, la Belle au bois dormant, Blanche-Neige, le Petit Poucet, le Petit Chaperon Rouge, Bambi, le Livre de la jungle, Tarzan, tous ces personnages vivent toujours dans une forêt. Encore aujourd'hui, les histoires de Trolls, gnomes et autres bébêtes en tout genre se déroulent souvent au coeur de la forêt. Pour cause. Nos origines y sont ancrées. Partout et de tous temps, le bois était présent, à nos cotés, pour nous apporter vie et énergie. La mémoire du temps est inscrite dans les vieux arbres.
Une matière vivante exploitée
"Les écosystèmes forestiers présentent quatre caractéristiques : ils sont producteurs de biomasse, gestionnaires de l'eau, co-responsables de l'évolution des sols et consommateurs d'éléments minéraux". Si avec ça, il y en a encore un qui ose dire que le bois n'est pas une matière organique vivante... Avez-vous déjà observé une coupe de tige de bois au microscope ? C'est pure merveille. Cellules tubulaires et molécules s'organisent en une farandole très précise et complexe pour respirer, grandir et grossir.
Ce tissu végétal, l'homme se l'est approprié depuis la nuit des temps. Pour finalement menacer, sans complexe, le fragile équilibre naturel originel.
Constructions de bâtiments ou de bateaux, nourriture, pharmacopée, pâturages, énergie, planches, panneaux, meubles, papier, carton, charbon... l'exploitation de ce matériau ne semble plus avoir de limites. Pourrait-on aujourd'hui, envisager de vivre sans le bois ? Le bureau sur lequel nous travaillons est en bois, la table sur laquelle nous dînons est en bois, le lit dans lequel nous dormons est en bois. L'homme a donc une relation exceptionnelle avec cette matière organique. Mais il a tendance à perdre de vue qu'il s'agit d'un privilège et à faire abstraction de tout respect et de toute humilité. Par exemple, le cèdre du Liban, utilisé depuis l'Antiquité pour construire des habitations (par exemple le Temple de Salomon), a presque disparu de son pays d'origine.
Mais si dans certaines régions, la déforestation active et excessive réduit à néant des hectares de zones boisées, ces réalités engendrent bien évidemment de nombreuses contre-vérités caractéristiques du genre humain. Par exemple, "le cliché «une édition de journal, une forêt dévastée» est contredit par les chiffres. L'édition d'un grand quotidien permet, au moins en Europe, d'éclaircir et de façonner quatre hectares par jour, soit quelques 1200 hectares l'an. La pâte à papier est fabriquée avec des déchets de scierie et des rondins d'éclaircies et non pas avec de gros arbres. En France pour fabriquer le papier journal, on utilise autant de papiers recyclés que de bois".
"La forêt se renouvelle, c'est une chance pour l'homme et son avenir"
Certes. Mais il serait un peu trop facile de ne compter que sur la chance pour assurer notre civilisation de demain. Les formations boisées couvrent un peu plus du tiers de la surface des terres émergées. Il est clair que les arbres de la forêt ont déjà à se défendre contre les agressions naturelles : climat, chenilles, champignons, incendies, etc ; alors si l'homme y va de sa dose de pollution, de ses excès d'exploitation, de ses déviations génétiques, et n'est plus capable d'être à l'écoute de son instinct qui lui murmure qu'il court à la catastrophe...
À notre porte, par exemple. Madagascar. Les trésors verts s'envolent aujourd'hui en fumée. Le feu efface la forêt. Une action humaine volontaire, destinée à produire des herbes plus tendres pour les pâturages, du charbon de bois, ou encore à faire de la place pour les cultures sur les collines ; tandis que dans certaines régions (grand Nord canadien ou taïga sibérienne), elle est indispensable pour renouveler l'écosystème forestier, cette action engendre sur la Grande Ile moult problèmes écologiques et économiques. Les animaux périssent, des pestes se développent (criquets), la désertification progresse à grands pas, le sol est fragilisé et s'effondre en multiples "lavakas" (gros trous béants sur la latérite).
Heureusement pour nous, la forêt est forte : "En Asie, en Amérique latine et même en Afrique, pourtant moins peuplée, l'influence des communautés humaines a déjà entraîné, il y a plusieurs siècles, la destruction de zones entières de forêts transformées en cultures ou en savanes herbeuses. Mais ces phases de défrichement furent souvent suivies de phases de régénération spontanée des forêts après disparition des hommes. (...) Défrichées jusqu'en 1825 à des fins d'élevage, les forêts denses des Llanos (plaines) occidentales au Venezuela avaient reconquis, un siècle plus tard, la majeure partie des espaces boudins, les hommes ayant pratiquement disparus, décimés par les guerres et les épidémies". Mais jusqu'à quand la forêt sera-t-elle capable de se régénérer ainsi ? Est-ce une raison pour justifier nos actions de déforestation ou faut-il que l'espèce humaine disparaisse de la surface de la terre pour que le bois puisse vivre tranquille ?
On vous évitera un trop affolant paragraphe sur les manipulations génétiques, mais sachez-le quand même, les végétaux étant les premiers concernés par les velléités d'apprentis sorciers humains, le bois a fait partie du lot très tôt, considéré comme un "fabuleux réservoir" génétique : saviez-vous que "la canne à sucre cultivée aujourd'hui résulte d'hybridations successives réalisées dès 1880 à Java entre des espèces provenant de la forêt Saccharam, ayant des qualités sucrières, et une espèce provenant de la forêt Saccharum spontaneum, ayant des qualités de résistance aux maladies" ? Les généticiens qui ont produits cet hybride ont du oublier d'y intégrer un gène anti-sécheresse...
L'homme, qui veut toujours tout dompter, tout dominer, la vie comme la mort, son semblable comme son prochain, paiera un jour fort cher ses prétentions. Avant lui, la nature n'était-elle pas capable de s'équilibrer toute seule ? C'est sûr, l'humain est arrivé et il a dû s'adapter. Mais aujourd'hui, il a plutôt tendance à adapter son environnement à lui-même. Ne serait-ce pas là une inversion fondamentale du système ?
Textes et photos Valérie Koch
(sources : Des forêts et des hommes, par Ph. Leroy, collection Explora chez Presses Pocket - bimensuel Tao Yin - Mythes et Croyances du Monde : l'Asie, dirigé par André Akoun aux éditions Brepols)
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